À peine sorti de l’École des Beaux-Arts d’Angoulême en 2003, Guillaume Trouillard monte les Éditions de la Cerise « pour publier son travail et celui de ses amis de promotions ». La structure, une association Loi 1901, fête donc ses quinze ans cette année et donne donc dans la bande dessinée et le beau livre, dans des trouvailles graphiques, des œuvres lumineuses et aventureuses… Des ouvrages qui ont du sens, et pas des recueils d’images à la noix comme il est facile d’en voir de nos jours, comme si on ne pouvait plus communiquer autrement qu’avec des visuels, de surcroît basiques et moches. La Cerise, elle, redore le blason du dessin. Fonctionnant avec un seul salarié (Julien Fouquet-Dupouy - assistant éditorial) et un seul bénévole (Guillaume Trouillard, qui « assure la direction éditoriale et artistique »), les Éditions de la Cerise ont sorti jusqu’à ce jour vingt-trois titres, soit deux à trois par an. C’est peu, dites-vous ? Le rythme est lent ? Eh bien la vitesse et les belles choses c’est pas forcément compatible (et peut-être même que ça ne l’est pas du tout, en fait). La Cerise prend son temps et ça en jette. Il n’y a qu’à ouvrir, par exemple, un des deux tomes de La fille maudite du capitaine pirate (Jeremy A. Bastian) pour s’en convaincre. La perle, il faut la dénicher et la mettre aux formes – si besoin francophones – de l’objet publié ici-bas, et ça ne se fait pas d’un claquement de doigt : cet automne vous pourrez ainsi apprécier Quand mon âme vagabonde en ces anciens royaumes, qui n’est rien de moins qu’un « recueil de poèmes rédigés sous la dynastie Song et illustrés par Dai Dunbang, un artiste chinois actuel, selon les façon de faire de cette période ». Petit chiffre ? Gros travail, grande qualité…. Et des tirages se situant entre 1000 et … 11000 exemplaires (bon, ce chiffre là c’était pour La Fille Maudite du Capitaine Pirate 1, en plusieurs tirages), « pour les titres diffusés en librairies » - les deux tomes d’Aquaviva (série post-apocalyptique de Guillaume Trouillard) sont eux tirés à cinq cent exemplaires le numéro et diffusés via le site internet ou sur des tables de presse -, ce qui place la Cerise dans la moyenne de la « petite » édition indépendante.
Et ça ne sera un hasard pour personne, le travail nécessaire pour que ces livres existent est d’esprit artisanal - Taylor peut aller se rhabiller : ambiance quatre épaules, atelier, auto-organisation et moyens du bord. La norme Iso 9001, c’est pas vraiment leur truc. La maquette ? « Guillaume à la création, Julien à l’exécution. » Les corrections ? « En interne avec l’aide de proches. » Le service de presse ? « Le travail administratif, de communication, etc, est assuré par le salarié. » Qui décide des titres à sortir ? « Guillaume cherche et trouve les projets et artistes à publier. » Seules les éventuelles traductions leur échappent, au besoin : « Nous faisons appel à des traducteurs selon le projet. » De fait, la sensibilité politique est pour le moins critique quant à l’industrialisme : par exemple, Welcome thématise la sérialisation capitaliste et mortifère et ce jusqu’à saturation - ce livre est magnifique et ô combien pertinent. Mais on retrouve aussi cette sensibilité avec Au pays du cerf blanc (Liu Zhiwu et Cheng Zhongshi) qui décrit la Chine rurale face aux enjeux locaux de la fin de l’empire Qing en 1911 et l’avènement de la République Populaire en 1949…. Ou dans Aquaviva, récit muet situé après la fin du monde.
Ou encore dans les associations d’idées des collages ironiques de Chromorama (des espagnols Sonia Pulido et Peio Riano). Ou dans le western mis en boîte de La saison des flèches (Guillaume Trouillard et Samuel Stento). Etc : on s’arrête là, pour vous laisser, lecteurs curieux, le soin de découvrir le reste par vous-même… Sachez juste que les Éditions de la Cerise ne laissent pas indifférents. « La plupart de nos ouvrages sont des paris. Par exemple, Welcome ne se vend pas bien en librairie, mais il a un excellent accueil sur salon et certains journalistes, auteurs ou lecteurs nous en reparlent 5 ans après sa publication. »