Ab Irato, « dans un mouvement de colère », ne se veut pas une vraie maison d’édition. Nonobstant la qualité des titres publiés, cette association (loi 1901) réaffirme sa modestie, son refus de parvenir. À 1000 exemplaires en moyenne par tirage, les parutions se font « au rythme de deux par an, car il n’y a pas que l’édition pour remplir une vie. » Dilettantes ? Plutôt des passionnés bien conscients des réalités de l’époque et décidés à leur tordre le cou.
La critique sociale, l’art et la subversion sont les ingrédients de cette quête d’émancipation. Une attention particulière est portée au prix des livres : « nous nous efforçons de proposer des prix bas accessibles aux lecteurs qui s’intéressent à nos idées, loin des prix normatifs, toujours à la hausse comme le pourcentage de gens aisés dans la capitale et les centre-villes. »
« Depuis l’origine, Ab irato n’a jamais été une fin en soi, mais une réunion d’individus ayant, chacun de leur côté, souvent se recouvrant, des activités indépendantes, se retrouvant dans le collectif pour faire des choses ensemble. » Après avoir pendant des années – depuis 1992 - publiés des journaux (La comète d’Ab Irato puis Oiseau-tempête) ou des brochures (des textes de Karl Korsch, Paul Mattick, Charles Reeve ou Mike Davis) l’idée germe de publier des livres. En 2002 sort le premier titre : Une étincelle dans la nuit, sur la révolution iranienne 1978-1979 de Serge Bricianer. Suivront Brésil, la mémoire perturbée : les marques de l’esclavage (Maira, 2004), Planète Bidonville (M. Davis, 2006), Itinéraire d’Houilles à Tulkarem : d’un voyage en Palestine (J. Gladiator, 2005), Un couteau entre les dents (A.J. Forte, 2007), De Godzilla aux classes dangereuses (A. Fernandes, C. Guillon, C. Reeve, B. Schwartz, 2007), Les Révolutions du Mexique (A. Nunes, 2009). Ces titres-là sont publiés dans la collection Tatoo – l’autre s’appelle Abiratures.
Cette dernière, de création récente, est « dédiée à l’approche poétique, ce court moment d’élaboration qui se concrétise dans la poésie, quelle que soit la forme (rêve, texte, jeu, dessin, dialogue, etc.) qu’elle prend pour s’exprimer. Nous espérons par là contribuer à ce que la poésie soit saisie dans son essence, car sans elle, la transformation du monde, plus que jamais nécessaire, ne sera jamais qu’un prélude à l’assèchement du vivant (et réciproquement). » Il est assez rare (ce que nous regrettons) que les militants se réapproprient la poésie, aussi bien le genre littéraire que l’acception globale de l’esthétique de la vie, dans une optique révolutionnaire. Le travail d’Ab Irato apporte cet aspect trop souvent négligé dans les luttes sociales comme dans leur approche historique. Non, un poète ne se résume pas au ridicule cliché romantique que l’ordre établi voudrait nous faire gober. De Dada aux Surréalistes ou de l’Internationale Lettriste aux Situationnistes nombreux sont ceux qui vivaient leur art comme une force de subversion sociale et politique. Ça, Ab Irato ne l’a pas oublié. De ça, nous leur savons gré. « Un couteau entre les dents du surréaliste et anarchiste Antonio José Forte dessine une passerelle communiquante entre ces deux collections (critique et poétique). Ce poète a été un cas extrêmement rare, à son époque, de surréaliste suffisamment intéressé par les thèses situationnistes, découvertes au milieu des années 1960, pour créer le premier groupe situationniste portugais avec quelques amis, dont l’auteur des Révolutions du Mexique. » Ont été aussi publiés dans cette collection Effet miroir (R. Erben, N. Espagnol, A . Joubert), et l’Hommage à l’Amiral Leblanc de Guy Cabanel.