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Le Dilettante, éditeur orpailleur

« Dilettante n. (mot ital.), personne qui s’adonne à une occupation, à un art en amateur, pour son seul plaisir. Personne qui ne se fie qu’aux impulsions de ses goûts. » Cette définition du Petit Larousse figure sur le rabat gauche de chacun des plus de 426 livres publiés par Le Dilettante, maison d’édition fondée en 1985 par Dominique Gaultier. C’est pour partager ses découvertes littéraires que ce total autodidacte devient libraire, puis éditeur avec les éditions Le Tout sur le tout, aux côtés de Guy Ponsard… jusqu’à ce que ce dernier claque la porte en le traitant de « dilettante », et que cette fâcherie sépare les deux amis. Néanmoins, Le Dilettante est né, et Dominique Gaultier n’aura de cesse de publier des livres suivant son goût et ses envies, sans se soucier des modes ou de l’air du temps. Quarante ans plus tard, la relève du « despote éclairé » est assurée. Même si Dominique Gaultier participe toujours à l’activité de la maison, Antonin Bihr, arrivé il y a plus de dix ans, le remplace désormais. Il est épaulé par une fine équipe avec Camille Cazaubon et Lucille Sonntag à la maquette et aux corrections, Pierre Marquand-Gairard travaillant avec la presse et Claude Tarrène, véritable porte-étendard de la maison, qui s’occupe de la diffusion auprès des librairies (la distribution est assurée par Union-Distribution) et des droits étrangers. Sans s’embarrasser de collections, Le Dilettante poursuit deux quêtes parallèles : la redécouverte de titres et d’auteurs tombés dans l’oubli, et la révélation de nouvelles voix de la littérature contemporaine, petites merveilles qu’ils enveloppent de couvertures acidulées au kitsch assumé.

Pas de salons où les rencontrer mais une librairie éponyme située au 7, place de l’Odéon, petit bastion livresque hors du temps et de la frénésie de Paris. Vous pourrez y trouver tous les livres de leur catalogue mais aussi une remarquable sélection d’ouvrages anciens et d’occasion, qui ravira les flâneurs et les curieux. Ils éditent également chaque trimestre un catalogue de bibliophilie – il y aura toujours une pépite pour vous... si vous êtes assez rapide ! Les bureaux de la maison d’édition se trouvent à l’étage, les livres et les réserves de Bourgueil au sous-sol. Mais gare à vous ! Il est également possible de tomber nez-à-nez avec un auteur mécontent du sort réservé à son manuscrit... Car tous les manuscrits envoyés au Dilettante – plus de 2000 par an, tout de même – passent au tamis de leurs lectures et reçoivent une réponse personnalisée et manuscrite. Ils constituent la « manne essentielle au bon fonctionnement de la maison » et il n’y a rien de « plus excitant que de tomber sur une nouvelle voix » nous confie Antonin Bihr.

Si jusqu’en 1999 « le Dilettante a été à l’édition ce que l’Albanie pèse à l’économie mondiale », avec le succès de Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part, premier roman d’Anna Gavalda (restée fidèle à son éditeur pour tous ses autres livres, quand bon nombre d’écrivains moins courtisés que Gavalda quittent leur découvreur pour un « reprendre leur indépendance artistique »…), ils connurent ensuite « la prospérité du Luxembourg, et donc, dans la foulée, [leur] premier contrôle fiscal » raconte Dominique Gaultier dans Le Matricule des Anges. Malheureusement leur réputation a changé du tout au tout : « le petit éditeur courageux » est devenu celui « qui gagne beaucoup d’argent en publiant des livres pleins de bons sentiments ». Alors même que leur travail et leur goût pour la littérature sont restés intacts. Et que la maison n’a absolument rien changé à son fonctionnement. De même, Le Dilettante continue de ne publier « que » dix livres par an avec un tirage de 2 000 exemplaires en moyenne.

Petit tour d’horizon très subjectif de la maison côté rééditions : Emmanuel Bove (La Mort de Dinah ; aussi tendre et émouvant que Mes amis), Henri Calet (Huit quartiers de roture ; quel plaisir de retrouver sa verve incomparable présentant les XIXe et XXe arrondissements parisiens), Yves Gibeau (Allons z’enfants ; une fantastique épopée libertaire et antimilitariste), Raymond Guérin, Georges Hyvernaud (La peau et les os ; un témoignage d’une honnêteté viscérale sur la déportation), Jean-Pierre Martinet, Pierre Merindol, Alexandre Vialatte, et Albert Vidalie, entre autres. Deux auteurs nous tiennent particulièrement à cœur : Alain Berthier, l’homme d’un seul livre et Robert Giraud, l’écrivain du zinc. Le premier a écrit Notre lâcheté, roman cynique et désespéré, étouffant au possible. Le second est l’auteur de l’un des trois grands romans sur le Paris de l’après-guerre, Le Vin des rues (avec Rue des maléfices de Jacques Yonnet et Paris insolite de Jean-Paul Clébert).

Pour ce qui est de la littérature contemporaine, Le Dilettante détonne depuis longtemps. Déjà parus il y a un moment, deux ovnis sont à lire d’urgence : Plaisir d’offrir, joie de recevoir d’Anna Rozen, le livre où le désir est roi, ou plutôt reine. Et La femme de Berroyer est plus belle que toi, connasse ! de Jackie Berroyer, 120 pages d’hilarité. Plus récemment, pour rire encore un peu, Fièvre de cheval de Sylvain Chantal est une plongée en immersion dans les PMU et le petit monde qui les peuple. Si vous préférez les histoires d›amour, Entre la source et l’estuaire de Grégoire Domenach est l’une des plus belles qui ait été racontée ces dernières années. N’oublions pas de saluer Alain Guyard, le philosophe forain. Après avoir donné ses leçons aux mauvais garçons et aux mauvaises filles, il est venu présenter en 2018 à Quilombo son livre Natchave, une escapade philosophique revigorante. Petit dernier paru en début d’année : Mes vies parallèles de Julien Leschiera, un terrible roman dégageant un spleen total, très remarqué par la critique. On en ressort tout ahuri, grandement dérangé et néanmoins bien décidé à dévorer la vie.

Pour la rentrée littéraire de 2023, le Dilettante a publié deux nouveaux romans. Ne pleure pas sur moi, de Samuel Lebon, est « un premier roman qui, de Poissy à Anvers, dans une atmosphère de bayou à la française, nous chante la ballade de Darline. Une folle équipée qui se veut être une grande déclaration d’amour traversée d’une mélancolie rock à la P.J. Harvey. » Déjanté à souhait ! Et Les corps flottants de Mikaël Hirsch, où « l’astronome Isaac Bahir se retrouve à revivre plusieurs fois un même évènement : le jour où lui et ses amis du lycée sont allés contempler une éclipse solaire. » Un texte bouleversant, qui évoque les choix qui s’offrent à nous dans nos petites existences et les possibles qui en découlent. L’un des grands romans de cette fin d’année.

En novembre, Christophe Bier revient avec ses Obsessions (bis) ; un choix de ses chroniques tenus dans l’émission « Mauvais Genres » sur France Culture, et « il y en a pour tous les (mauvais) goûts dans cette anthologie allant de 2016 à 2022, qui fait suite à un premier volume paru il y a 6 ans. » Enfin, l’immense Alphonse Boudard sera de retour avec Merde à l’an 2000, un recueil de chroniques avec un avant-propos fort émouvant, signé Dominique Gaultier. Antonin Bihr annonce la couleur : pour Boudard, « l’essentiel c’est de causer de sa vie, de littérature et pourquoi pas de pousser une ou deux gueulantes au passage. Pour ceux qui connaissent et apprécient le lascar, ce livre est pour eux. Quant aux autres, ça ne leur fera pas de mal ! »

Concernant la situation que vit le peuple du livre aujourd’hui, Antonin se montre optimiste malgré tout. « Quand je rentre dans une librairie je ne sais où donner de la tête tant il y a à lire, et des choses pointues, et originales, et bien faites. […] Beaucoup de bêtises aussi mais ça c’est depuis toujours », selon lui. « Comment continuer de se faire une place dans ce maelstrom, c’est toute la question […]. Si on ne croit pas au rôle prescripteur du libraire les gens achètent tous la même chose car les éditeurs publient trop, remplissent les tables pour cacher la concurrence quand ils ne la rachètent pas carrément... »
À l’approche de leur quarantième anniversaire, que ce soit parmi les ouvrages d’une bibliothèque oubliée ou dans les centaines de manuscrits reçus, Le Dilettante, éditeur-orpailleur, n’a pas fini de fouiller.

Le Dilettante [Éditeur & Libraire]
7, place de l’Odéon
75 006 Paris
www.ledilettante.com