“En ce qui nous concerne, nous consommateurs, nous sommes en premier lieu, bien que nous soyons richement servis, serviteurs : ou plutôt justement parce que nous le sommes si richement. Ceci signifie qu’il nous est attribué une tâche spéciale, celle de faire disparaître tous les produits par notre ‘travail de consommation’, afin de rendre nécessaire, par ce faire-disparaître, la production des prochains produits. Lorsque vous savourez votre Coca-Cola ou votre Chesterfield, vous remplissez votre devoir d’employé et vous le savourez pour la production ; ou plus exactement : le fait que vous le savourez, la firme le savoure, elle consomme avec jouissance votre jouissance de consommateur ; et c’est seulement parce qu’elle le savoure que vous devez le savourer. Si l’expression ‘joindre l’utile à l’agréable’ a une signification, c’est uniquement celle-ci.”
En 1960, Francis Gary Powers, pilote américain, est arrêté en mission en URSS en pleine Guerre froide. Günther Anders, inquiet des conséquences de cette arrestation et du risque de guerre nucléaire, écrit au pilote incarcéré. Sa “Lettre sur l’ignorance” reste sans réponse. Il en écrit alors une seconde : “Le Rêve des machines”, inédite en français comme en allemand.
Le Rêve des machines rassemble ces deux lettres qui éclairent l’évolution de la pensée d’Anders et ses thèmes de prédilection : risque nucléaire, machinisation du monde, suprématie de la consommation... En exposant à Powers comment celui-ci est devenu le rouage d’un système inhumain, il dénonce la toute-puissance de la technique et le monde des machines, produit d’un capitalisme qui annihile notre humanité. Anders développe ainsi une réflexion habitée par un souffle qui, à défaut d’être atomique, reste d’une puissance philosophique sans équivalent.