“J’allais chercher le sac à main de mademoiselle Godfroy dans la bibliothèque sanctuaire. J’ouvrais la porte d’une fable. J’entrais, j’avançais, je pénétrais, j’avançais encore. Un parfum de cigarette orientale encanaillait l’atmosphère. (…) J’avais la jouissance un instant d’un endroit qui avait été abandonné dans le bavardage, la légèreté, l’étourderie. Des professeurs avaient vécu ici une demi-heure d’insouciance mais cette insouciance était interdite aux élèves. J’observais l’endroit. Observer, c’est fournir du mystère. Je ne cherchais pas le sac à main, je ne bougeais pas. J’étais unie à l’endroit et à sa nouveauté. La fumée de leurs cigarettes subsistait en haut d’un volet. Les volutes languissaient dans la lumière. Une poussée de plaisir dans un vague dessin aérien qui ne peut ni s’épanouir ni se contracter, ni s’évader ni se fixer. Je saisis le sac à main sur une table puis je refermai la porte avec beaucoup de déférence. Je n’ouvris pas tout de suite la chose de mademoiselle Godfroy. La voix des professeurs résonnait dans le couloir. L’attention des élèves qui les écoutaient et que je ne voyais pas était énorme. Une liberté grandissait en moi.”
Pour la première fois, La main dans le sac donne à lire le début du manuscrit de Ravages, resté jusqu’alors inédit.
Il s’agit du souvenir du premier émoi érotique de Thérèse (le prénom d’état civil de Violette Leduc) adolescente : lorsque mademoiselle Godfroy la désigne pour aller chercher son sac à main dans la bibliothèque des professeurs, Thérèse, en glissant sa main dans le sac, en l’explorant sans pouvoir résister à cette attirance, vit une véritable scène initiatique.
Dans une lettre à Simone de Beauvoir, Violette Leduc affirme que cet épisode est l’un des trois événements les plus importants de sa vie. Il disparaît pourtant de Ravages, son roman autobiographique paru en 1955. Quand elle en propose le manuscrit à Gallimard, l’éditeur lui impose en effet la suppression pure et simple de toute la première partie qu’il juge “d’une obscénité énorme et précise”. Violette Leduc ne s’en remettra jamais vraiment, qui écrit des années plus tard : “Ils ont refusé le début de Ravages. C’est un assassinat. […] La censure tranche vos feuillets. C’est une guillotine cachée.”