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Charles Denby : Coeur indigné

Coeur indigné

Autobiographie d’un ouvrier noir américain
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Petit-fils d’esclaves, Charles Denby (1907-1983) passe son enfance sur une plantation de coton de l’Alabama avant d’aller chercher du travail dans les usines automobiles de Detroit, dans le Michigan, où il deviendra un militant syndical pugnace. Sur la plantation, la grand-mère raconte ses souvenirs du temps de l’esclavage, les métayers noirs se défendent comme ils le peuvent contre les exactions des propriétaires blancs, et les jeunes partent vers le Nord où ils espèrent échapper au racisme et à l’exploitation. Mais dans les usines du Nord, les Afro-Américains sont relégués aux postes les plus durs, les moins qualifiés et les plus mal payés — et les dirigeants syndicaux les incitent surtout à prendre patience. Alors Denby apprend à se battre. En pleine Seconde Guerre mondiale, il organise une grève sauvage dans son atelier, ce qui lui vaut d’être repéré par des militants communistes et trotskistes locaux. Les années 1943 à 1951 sont des années d’apprentissage syndical et politique — et de confrontation directe aux multiples formes du racisme à l’usine et dans les groupes politiques.

En 1948, Denby se lie avec les membres d’une fraction d’opposition qui rompra bientôt avec le trotskisme : la tendance Johnson-Forest. Johnson était le pseudonyme de l’intellectuel et militant antillais C.L.R. James (1901-1989) qui vivait aux États-Unis depuis 1938 ; Forest était celui de Raya Dunayevskaya (1910-1987), militante socialiste née en Ukraine, qui avait été brièvement secrétaire de Léon Trotski à Mexico en 1937. Le petit groupe qui se rassemble autour d’eux développe une analyse critique de la réalité des rapports de production en Union soviétique et met en question la nécessité d’un parti de révolutionnaires professionnels. Par de nombreux aspects, l’évolution de la tendance Johnson-Forest est proche de celle du groupe français Socialisme ou Barbarie qui se constitue à la même époque. Dans la lignée de l’enquête ouvrière conçue par Marx en 1880, le groupe américain s’efforce de susciter des témoignages en provenance de différentes composantes de la classe ouvrière et Denby est encouragé à raconter ses expériences de prolétaire noir.

Dans la première partie de ses souvenirs, parue en 1952 sous le pseudonyme de Matthew Ward, Denby fait revivre avec force détails le monde à la fois violent et solidaire de la plantation avant de relater ses nombreuses expériences de prolétaire afro-américain dans le Sud ségrégationniste et dans le Nord industriel. Mais qu’il s’agisse d’une plantation de coton en Alabama dans les années 10, d’une usine de construction automobile à Detroit dans les années 20, de la ville de Montgomery dans les années 30 ou d’une usine de guerre dans les années 40, c’est sans aucun misérabilisme que Denby évoque ces mondes où règnent l’oppression raciale et l’exploitation économique. Avec un talent de conteur qu’on sent nourri d’une riche tradition orale, il fait la chronique des multiples actes de résistance plus ou moins ouverte par lesquels les exploités contre-attaquent. Certaines histoires ont sans doute été racontées plus d’une fois et l’auditoire a dû se réjouir comme nous de tels et tels tours joués par ceux qui n’ont rien à ceux qui se croient tout puissants.

La seconde partie du livre, publiée en 1978 à la suite de la réédition du texte de 1952, nous fait pénétrer dans un monde nouveau. Les premiers chapitres racontent le boycott des bus de Montgomery, point de départ du Mouvement pour les droits civiques des Afro-Américains dans les années 50 et 60. Ces pages font écho au récit haut en couleur que faisait Denby, dans la première partie du livre, de sa propre révolte dans un bus de Montgomery vingt ans auparavant. Mais cette fois-ci, il ne s’agit plus d’une révolte individuelle et ponctuelle mais bien d’un mouvement massif de lutte contre l’ensemble des règles de la ségrégation dans les États du Sud. Dès le début, Denby s’implique fortement dans ce mouvement, retournant dans le Sud chaque fois qu’il le peut, rencontrant Martin Luther King, Rosa Parks et bien des anonymes dont les actes courageux mettaient en question tous les aspects d’un système d’oppression séculaire. En 1955, Denby devient rédacteur en chef d’un journal ouvrier, News and Letters, dans lequel il rend compte, tout au long des années 50 et 60, des luttes du mouvement de libération noir et de ses débats internes. Ouvrier de production dans l’industrie automobile jusqu’à sa retraite en 1973, il observe aussi attentivement les conséquences de l’automatisation sur les conditions de travail dans les usines et les formes que prend la révolte contre cette soumission de plus en plus contraignante de l’homme à la machine. En 1973 comme en 1943, il est du côté de ceux dont la révolte se traduit par des grèves sauvages échappant au contrôle d’une bureaucratie syndicale contre laquelle il n’a cessé de se battre.

Un remarquable témoignage sur la vie et les luttes des prolétaires afro-américains au vingtième siècle.

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