Ce qui me revient aujourd’hui des brumes de ce lointain passé, ce sont des impressions confuses. Elles surgissent comme d’étranges poissons qui se précisent un bref instant de la lumière au bord de l’aquarium avant de replonger lentement dans les ténèbres du néant dont ils sont sortis…
Mrs McGrewin était la championne du mont-de-piété. Elle avait porté le dépouillement de son intérieur à un degré que Thoreau lui-même n’avait jamais envisagé. « De la simplicité ! », telle était la devise du philosophe de Nouvelle-Angleterre. Eh bien, elle avait pratiquement simplifié l’agencement des pièces jusqu’à ne laisser que les murs nus. Il y avait bien des stores aux fenêtres en façade, mais pas de rideaux derrière. Il ne restait qu’un lit double, sans doute témoin d’une certaine considération pour les – modestes – besoins du mari ; pour le reste, les enfants dormaient par terre dans une pièce où il n’y avait ni horloge, ni vase, ni tableau, ni vaisselle, et ils buvaient dans des pots de confiture. Il régnait dans ce logis frugal une paix proche du nirvana. Quant à McGrewin, qui était ajusteur, et non pas philosophe comme on pourrait le croire, c’était un placide fumeur de pipe qui partait tous les jours au boulot en veste et bleu de chauffe. Placide, débonnaire, jamais un mot plus haut que l’autre, il était peut-être particulièrement doué pour s’abstraire de toute contingence, mais les enfants avaient l’air contents aussi. D’ailleurs les gosses des environs étaient toujours fourrés chez eux – à commencer par mes sœurs. On se disait que là-bas, la vie devait être comme un pique-nique perpétuel ; c’était la seule maison de la rue où on pouvait carrément manger par terre et boire un coup au pot de confiture pour faire glisser... Autre troublant paradoxe, et qui donnait à réfléchir aux mères respectables du quartier.
D’autres s’offusquaient d’un tel scandale ; en tout cas, ils essayaient. Mais au fond, personne n’avait vraiment le cœur de blâmer les McGrewin – ils avaient l’air tellement satisfaits de leur sort !
Jack Common façonne une vision sensible de la classe ouvrière sur un mode autobiographique, dominé par l’ironie, l’humour et l’autodérision. Un mariage entre style littéraire et expression culturelle populaire, depuis les réparties et les plaisanteries locales jusqu’au formalisme du monologue et du music-hall.