On ne compte plus les critiques de l’ère numérique. Mais elles ont en commun de ne pas voir la nouveauté d’un monde où, pour la première fois, le capital et la technologie se confondent absolument, obéissant à la même croissance exponentielle, avec la même visée de tout réduire à un objet de calcul.
Ainsi le regard humain est-il devenu pour le capital la matière première la plus recherchée. Surtout depuis que la production et la reproduction des images sont redéfinies par la révolution que représente l’instantanéité de leur distribution. Aussitôt produite, toute image peut être immédiatement diffusée par n’importe quel possesseur de smartphone – autrement dit, tout le monde.
En une dizaine d’années, la distribution s’est imposée au cœur d’une nouvelle économie du regard, où il n’est aucune image qui ne soit en même temps objet de profit et moyen de contrôle.
Il en résulte une complète reconfiguration de notre perception. N’existe plus que ce qui est rendu visible par la technologie. Rien n’échappe à cette dictature de la visibilité, qui nous empêche de voir à quelle modélisation nos vies sont continuellement soumises, en fonction d’algorithmes envahissant tous les domaines, scientifique, politique, esthétique, éthique, érotique… Persuadés d’être de plus en plus libres, nous nous sommes bâti la plus inquiétante prison d’images.
Comme d’autres ont autrefois réussi à sortir du labyrinthe qui les retenait en en reconstituant les plans, notre seule chance est d’essayer de comprendre quelle sombre histoire se trame entre image, regard et capital. En dépend le peu de liberté qui nous reste.