Transversale à l’oeuvre de Pierre Bourdieu, la question de l’Etat n’a pu faire l’objet du livre qui devait en unifier la théorie.
Or celle-ci fournit à bien des égards la clé d’intégration de l’ensemble de ses recherches. Etudier cet " objet impensable ", c’est en effet appréhender le lieu d’où, dans les sociétés modernes, tous les pouvoirs tirent en dernière instance leur légitimité et leur autorité. Dévoilant les illusions de la " pensée d’Etat ", vouée à entretenir la croyance en un principe de gouvernement orienté vers le bien commun, comme celles de l’" humeur anti-institutionnelle ", qui résume la construction d’un appareil bureaucratique à une fonction de maintien de l’ordre social, Pierre Bourdieu montre que cette " fiction collective " aux effets bien réels est à la fois le produit, l’enjeu et l’espace ultimes de toutes les luttes d’intérêts.
Mais, à rebours de sa réputation de théoricien ardu, cette transcription donne aussi à lire un " autre Bourdieu ", d’autant plus concret et pédagogue qu’il livre sa pensée en cours d’élaboration. A l’heure où la crise financière permet à des instances supranationales de hâter le basculement du rapport de force et de condamner, au mépris des démocraties, les services publics au démantèlement, cet ouvrage apporte enfin les instruments critiques nécessaires pour assumer, en toute lucidité, un rôle de citoyen.