On ne connaît guère en France le communisme des conseils ouvriers, forme d’organisation motrice des révolutions russes (les soviets de 1905 et de 1917) et allemande, des grandes grèves anglaises ou italiennes de la même période… Henry Chazé (1904-1984) et Henri Simon (né en 1922) ont rencontré les conseils, dans les années 1930 pour le premier, dans les années 1950 pour le plus jeune. C’est au sein du groupe Socialisme ou Barbarie, fondé par les transfuges du trotskysme Cornelius Castoriadis et Claude Lefort, qu’ils se sont connus, et ont évolué ensemble vers le conseillisme théorisé par le Néerlandais Anton Pannekoek.
Chazé, membre oppositionnel du Parti communiste, exclu en 1932, un temps proche des trotskystes, interné par le régime de Vichy à Fresnes pour communisme, fut déporté en camp de concentration en Allemagne. Après guerre, il se retire dans les Alpes-Maritimes pour raisons de santé. Henri Simon quitte la CGT dès 1954, lance dans la compagnie d’assurances qui l’emploie une grève des em- ployés et un « conseil des assurances ».
C’est en 1955 que les deux hommes entament une correspondance suivie, jusqu’à la mort de Chazé en 1984 – correspondance dont nous publions ici la première partie, jusqu’en 1962. La vie du groupe Socialisme ou Barbarie y est large- ment commentée, jusqu’à la rupture qui en 1958 donnera naissance à Informations et Liaison Ouvrières (ILO), puis à Informations Correspondance Ouvrières (ICO). Dans la tradition des grands échanges épistolaires, malmenée aujourd’hui par Internet, on voit les deux personnages dans une vie certes pleine de politique, mais jamais séparée des préoccupations quotidiennes, tout en nous faisant traverser les moments importants de cette séquence qui va du début de la guerre d’Algérie, en passant par l’arrivée de De Gaulle au pouvoir, aux prémices de Mai 68. Les plus jeunes découvriront une période ô combien agitée et souvent déformée, les plus anciens se replongeront dans un passé peut-être oublié. Toujours fidèles à leurs idéaux et combats de jeunesse (jusqu’à sa mort, pour Chazé ; Simon, lui, continue d’animer la revue ICO, devenue Échanges et Mouvement), ils remettent au goût du jour une grille d’analyse marxiste, radicalement antiléniniste, dont beaucoup s’aperçoivent maintenant qu’elle permet de comprendre le monde mieux que les visions ultraréactionnaires ou postmodernes qui l’ont pour un temps supplantée à la fin du siècle dernier.