Du début de la Révolution française, en 1789, à la précaire paix d’Amiens en 1802, les marines française, hollandaise et britannique connurent plus de 150 mutineries à bord d’un seul navire, ainsi que six mutineries affectant une flotte entière. Ces rébellions durèrent de quelques jours à plusieurs mois et impliquèrent jusqu’à 40 000 marins. Chacun de ces conflits suivit sa propre trajectoire mais, dans la deuxième moitié des années 1790, leur simultanéité les fit confluer en une seule vague révolutionnaire.
Les mutins des années 1790 partageaient une culture radicale supranationale qui se retrouvait dans toutes les marines européennes – une culture où se conjuguaient des traditions et des influences tant maritimes que terrestres. Refoulée aux XIXe et XXe siècles, cette culture semble avoir disparu sans laisser la moindre trace. Et pourtant, les effets à long terme de ce radicalisme incluent certains des symboles les plus puissants du combat révolutionnaire. Le plus important est peut-être le drapeau rouge qui flotta aux mâts des flottes mutinées – et qui devint, après le naufrage de la « république flottante » du printemps 1797, l’emblème le plus répandu de la lutte des classes et de la justice sociale.
Les années 1790 furent l’âge d’or des mutineries dans l’aire atlantique – une période pendant laquelle les luttes sociales maritimes atteignirent une intensité, une ampleur et une sophistication politique qui restèrent inégalées jusqu’aux grandes révoltes des marins de Kiel, de Kronstadt et de Sébastopol, quelque cent vingt ans plus tard.
Dans cette première histoire globale, Niklas Frykman, enseignant à Pittsburgh, prend le contrepied des récits élaborés du point de vue de chacune des flottes concernées. Rendant hommage aux mutins, il s’inscrit dans la forte tradition de l’histoire par en bas (history from below).