Au fond, le livre est de l’architecture. Qui dit architecture, veut dire un édifice et un ordre, une demeure pour les dieux et pour l’homme, que ce soit une simple maison ou une basilique. L’église est une assemblée : la lecture en est une autre. Le livre est la maison de la pensée. Tout commence au monument et tout finit par le livre. La cité s’écroule, la ville disparaît et le livre demeure. Les édifices sont l’architecture de la matière : le beau livre est une architecture de l’esprit.
André Suarès, poète et écrivain né à Marseille en 1868, animateur à partir de 1912 de La Nouvelle Revue française aux côtés de Gide, Claudel et Valéry, est l’auteur de l’œuvre plurielle et abondante que l’on connaît : recueils de poèmes, études, récits de voyages, tragédies, pensées, aphorismes… Constante de la nébuleuse que forment ses écrits, son verbe brûlant interroge sans cesse les caprices d’une époque jusqu’aux tréfonds de l’âme humaine. L’art du livre est l’éloge de la beauté livresque, de l’incunable et du manuscrit : les ouvrages y sont des monuments. Suarès y regrette la décadence du livre qu’implique sa diffusion grandissante et, sans manquer de lucidité, anticipe l’arrivée de substituts invasifs dans nos vies, plus adaptés à des esprits qui se font paresseux. Un texte efficace, à l’exacerbation maîtrisée, que l’on adressera aux fidèles des livres, « les derniers hommes qui ne sont pas faits en série par la machine sociale ».