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Collectif : La machine est ton seigneur et maître

La machine est ton seigneur et maître

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Paru pour la première fois en 2015, La Machine est ton seigneur et ton maître, dont nous donnons une version réactualisée et complétée, propose une analyse du système Foxconn à partir des enquêtes de la sociologue Jenny Chan, complété par le témoignage de Yang, un étudiant et ouvrier de fabrication à Chongqing, et le parcours de Xu Lizhi, jeune travailleur migrant chinois à Shenzen, qui s’est suicidé en 2014 après avoir laissé des poèmes sur le travail à la chaîne, dans « L’atelier, là où ma jeunesse est restée en plan ».

Depuis le début des années 2010 a été importée sur le Vieux Continent une organisation du travail et de la vie des ouvriers alliant le pire du taylorisme au meilleur des romans naturalistes du XIXe siècle. La plupart des ouvriers, en particulier dans les pays de l’Est où Foxconn et consorts ont implanté leurs usines, semblent ne pas avoir apprécié à sa juste mesure ce rafraîchissement, Made in China, d’un modèle de production industrielle dont les théoriciens californiens du « capitalisme cognitif » avaient pourtant affirmé l’obsolescence programmée avec l’avènement du « monde numérique » [1].

Parmi les analyses consacrées aux iSlaves chinois de Foxconn , un témoignage anonyme évoquait, avec un sens littéraire irréprochable, la vie d’un « esclave de l’électronique ». Il décrivait les effets destructeurs du travail à la chaîne et répondait à son « seigneur et maître », la machine, par le sabotage et le boycott, vieilles pratiques héritées des révoltes contre la révolution industrielle et théorisées en France durant les belles années du syndicalisme révolutionnaire de la CGT d’avant la Grande Guerre [2].

C’est une série de tentatives de suicide dans la ville-usine de Foxconn à Shenzhen, au cours du premier semestre 2010, qui a permis une certaine médiatisation du travail de plusieurs ONG, notamment chinoises, sur les conditions faites aux centaines de milliers de jeunes migrants qui composent l’armée des esclaves asiatiques de l’électronique : le portrait d’une survivante, Tian Yu, ouvrière chez Foxconn, sert de fil rouge à la sociologue et militante Jenny Chan pour analyser le parcours de ces travailleurs sans avenir [3].

Ni les filets posés en 2010 aux fenêtres des bâtiments où sont logés les iSlaves ni les modifications cosmétiques apportées entre-temps à leurs conditions de travail n’ont suffi à faire disparaître le suicide comme réponse à la seule vie qui leur est proposée. C’est en quelques courts poèmes qu’un jeune ouvrier, Xu Lizhi, a raconté son quotidien avant de mettre fin à ses jours en octobre 2014.

Ce recueil ne se cantonne pas à la critique (toujours à renouveler) de l’organisation sociale du travail voire à l’indignation (qui n’est pas le pire moteur face à l’indifférence générale) devant l’aliénation des ouvrières et des ouvriers. Le dernier texte éclaire en effet cet « autre côté du monde » à la lumière des « Silicon Valley » qui ont essaimé dans les pays riches et les capitales mondialisées où les élites des classes moyennes sont animées par l’espoir de rendre notre monde meilleur par la mise à disposition des merveilles technologiques issues de la révolution informatique. Pour actualiser sa postface, Celia Izoard analyse l’éclipse des fantasmagories de l’« économie numérique » auxquelles succède la domestication électronique de nos vies, qui instrumentalise la pandémie de Covid-19 pour « accomplir l’organisation légiférée de la séparation physique des individus en leur vendant les moyens de communication qui leur permettent de “rester en contact” ». Planifié depuis longtemps par les géants du numérique, ce projet paradoxal, « remplacer par des transactions électroniques les relations humaines incarnées », masque sous une solidarité et une santé factices les dégâts réels, humains et environnementaux de l’économie prétendument immatérielle.

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