La mondialisation libérale ne marque pas une rupture dans les évolutions du capitalisme, elle accélère et radicalise certains processus en cours depuis des décennies. Les entreprises et leurs machines de propagande contrôlent et formatent de plus en plus nos vies. Dans cette société du consumérisme et de l’immédiateté, l’industrie des loisirs, de « l’entertainment », occupe une place centrale. Divertir pour domestiquer, domestiquer pour faire consommer.
Après l’appropriation de nos corps par la société du travail, le domptage des esprits est un enjeu politique et économique de taille. Il s’agit d’élaborer une culture de la consommation en standardisant la « création culturelle » : grosses productions cinématographiques, omniprésence de la télévision, jeux vidéos abrutissants, culte des nouvelles technologies, domination de l’imagerie publicitaire...
MAîTRES DU MONDE. Les nouveaux géants du capitalisme se nomment AOL-Time Warner, vivendi Universal ou Disney. Leur objectif est de contrôler toute la chaîne de production des divertissements, du concept jusqu’aux clients. Ils maîtrisent les contenus (films, disques, livres, journaux, émissions, sites...) et les tuyaux (salles de cinéma, magasins, cables, satellites, internet...). Ils concentrent les moyens de production, de diffusion et de vente. Si ces mutations existent dans d’autres domaines (alimentation, vêtements...) il faudra bien un jour que nous construisions aussi des alternatives dans ces secteurs de la production , il y a urgence à organiser la résistance culturelle. En transformant les savoirs, la connaissance et les idées en produits, en imposant un modèle l’industrie de la culture, ils s’approprient nos représentations intellectuelles et culturelles. L’expression des idées et la diffusion de la pensée doivent leur échapper, car celui qui possède cela possède tout.
SUPERMARCHES DE LA CULTURE. Dans le domaine du livre, qui nous intéresse plus particulièrement, la concentration de l’édition et de la librairie s’accroît d’années en années. En France, deux livres sur trois sont publiés par des filiales de Vivendi ou de Matra-Hachette. Hachette possède, par exemple, Grasset, Stock, Pauvert, Marabout, Lattès... Dans la vente, la situation est aussi dramatique. Le nombre de librairies indépendantes ne cesse de se réduire. Il y a vingt ans, elles représentaient la moitié des ventes contre 18% aujourd’hui. Les ventes de « produits culturels » se partagent entre la FNAC, Hachette (Virgin, Extrapole, Furet du Nord, Relais H...) et les grandes surfaces. Un processus similaire, quoique plus violent, a entraîné la disparition de la quasi-totalité des disquaires.
L’ENJEU DE LA DIFFUSION. Il est encore possible d’éditer des livres de qualité, beaucoup d’éditeurs, souvent de taille modeste, s’y emploient. Atteindre un lectorat élargi est en revanche souvent impossible. Bien plus que pour la production d’oeuvres, les moyens de diffusion manquent. Les diffuseurs /distributeurs privilégient ce qui, selon eux et des critères
marketing savamment élaborés, se vend bien. Ils ne laissent aucune chance à d’autres voix de s’exprimer. Les lieux de ventes comme la FNAC ont pris pour modèle le supermarché et son organisation. Tenter, au prix de compromissions autodestructrices, de pénétrer les temples de la consommation culturelle, ou rester cantonnés à un public restreint, sont des perspectives que nous refusons. Nous pensons qu’il est vital d’élaborer des stratégies alternatives de diffusion.
CONTRE-POUVOIRS. Nous avons choisi, avec la boutique-librairie Quilombo de créer un lieu qui aille dans ce sens. Nous le pensons comme un nouvel espace, aussi modeste soit-il, de contre-pouvoir. Il diffuse de manière autonome les réflexions, analyses et productions de différentes structures (maisons d’éditions, labels indépendants, coopératives, revues, associations, groupes politiques...) qui s’inscrivent dans un même mouvement d’émancipation social, politique et contre-culturelle. Nous souhaitons ainsi contribuer au développement de lieux autogérés. Si nous luttons pour une autre société, nous pensons que la libération passe par la construction d’alternatives, ici et maintenant, de pôle de résistances et de contre-culture. Quilombo en est un.