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Kokopelli voudrait‑elle faire taire la critique ?

Kokopelli voudrait‑elle faire taire la critique ?

Publié le mardi 10 octobre 2017

À propos du procès en diffamation intenté par l’ʹassociation contre le site internet le Jardin des possibles le 13 octobre 2017 au TGI de Paris.
Communiqué des éditions du bout de la ville, le 9 octobre 2017

En mars 2017, notre petite maison d’édition ariégeoise publie Nous n’ʹirons plus pointer chez Gaïa, jours de travail à Kokopelli écrit par un collectif d’ʹautrices, le Grimm. Essentiellement constitué de témoignages, cet ouvrage est l’ʹaboutissement d’ʹune réflexion et d’une écriture collective qui a duré trois ans. Il est le fruit de la solidarité entre des jardinières d’ʹAriège et des travailleuses employées jusqu’en 2014 par une association « écolo », Kokopelli, qui avait quelques mois plus tôt déménagé ses locaux au Mas d’Azil en Ariège. L’ʹobjet de ceQe association, qui jouit d’une relative notoriété militante, est de diffuser des semences. À sa sortie, le livre n’ʹa fait l’ʹobjet d’ʹaucune plainte de la part de Kokopelli. Un mois plus tard, un blog, Le jardin des possibles.org, publie un article sur le livre intitulé « Pourquoi nous n’ʹirons plus acheter nos graines chez Kokopelli ». Kokopelli le poursuit. Le procès aura lieu le 13 octobre 2017 à 11 h 30 au TGI de Paris.

Procès en diffamation contre le blog Le jardin des possibles

En mai 2017, Daniel Vivas, formateur en permaculture et jardinier de son état, écrit et publie sur son blog un article qui retrace son expérience malheureuse de client chez Kokopelli – graines potagères qui ne germent pas, graine de moutarde japonaise à la place de poivrons... Dans cet article il reprend et commente certains faits relatés dans le livre Nous n’ʹirons plus pointer chez Gaïa, jours de travail à Kokopelli, écrit par d’anciennes salariées de cette association qui vend et distribue des graines. Il s’attarde notamment sur les conditions de travail qui y avait cours à l’époque, sur la politique commerciale et le type d’ʹidéologie promue par certains dirigeants de l’association. Un lecteur partage l’article via son compte Facebook, il est lu 8 400 fois.

Le directeur de Kokopelli, Ananda Guillet, demande un droit de réponse. Il lui est accordé immédiatement. Sa réponse n’ʹen est pas vraiment une puisqu’ʹil avoue ne pas avoir pris le temps de lire cet article. Faute de réponse précise sur les faits, il se positionne en chef d’entreprise qui a fait « une erreur » et qui se reproche de ne pas avoir licencié rapidement ces salariées, futures autrices du livre, « ces “hippies” qui n’en étaient pas du tout ». Le ton est plaintif – il travaille beaucoup pour un trop maigre salaire – et surtout méprisant, voire injurieux à l’égard des ex—‐‑salariées, autrices du livre, à qui il prête toutes sortes de propos, d’ʹintentions et d’ʹactes : elles auraient volé et revendu des sachets de graines, saboté les bases de données, tagué insultes et menaces de mort sur les bâtiments de l’ʹassociation, sur les véhicules de la direction et dans les rues du Mas d’ʹAzil.

Ce « droit de réponse » ne semble pas suffire au directeur de Kokopelli. En août 2017, Daniel Vivas reçoit, en tant qu’administrateur de son blog, une lettre recommandée qui le somme de retirer l’ʹarticle dans les deux jours à réception du courrier. Il s’ʹexécute immédiatement, respectant les conditions énoncées dans la lettre. Pourtant, l’ʹavocate de Kokopelli n’ʹattend pas le délai qu’ʹelle a elle-même fixé dans sa lettre et assigne Daniel et Raquel Vivas devant le Tribunal de Grande Instance de Paris pour obtenir le retrait de l’article, qualifié de diffamatoire.

À peu près à la même période, au moins deux autres publications ayant pignon sur rue et une large audience font état de la sortie du livre et relayent son contenu. En juin 2017, le mensuel CQFD publie une interview des autrices du livre intitulée « Kokopelli c’ʹest fini... ». On peut difficilement être plus clair. Le tirage moyen de ce journal est actuellement de 6 000 exemplaires. Le 26 juillet 2017, Le Canard enchaîné publie un article au titre on ne peut plus évocateur lui aussi : « Graines de violence sociale ». Les ventes hebdomadaires moyennes de ce journal s’élevaient pour l’ʹannée 2016 à plus de 350 000 exemplaires.

Ni CQFD, ni le Canard ne seront attaqués pour avoir relayé des propos prétendument diffamants. Pas plus que notre maison d’édition n’avait été attaquée au moment de la sortie de l’ouvrage. Pas plus que les ex-salariées d’ailleurs.

Résumons donc cette escalade judiciaire pour le moins kafkaïenne et pathétique : un livre de témoignages de salariées mettant en cause leur ex—‐‑employeur sort ; ni les autrices ni le livre ne sont poursuivis par l’employeur en question ; un jardinier blogueur fait état de cette sortie ; l’employeur mis en cause dans le livre demande la publication d’un droit de réponse, il l’obtient ; il exige le retrait de l’article original, il l’obtient à nouveau… pour finalement, traîner le blogueur en justice.

Nous ne perdrons pas de temps en conjectures sur ce qui nous a protégés de l’ire judiciaire des employeurs outragés. Il semble cependant opportun de comprendre ce qui a tant gêné ces dirigeants dans la publication d’un petit texte d’humeur sur un blog de jardiniers permaculteurs. Cette plainte pourrait ainsi être comprise comme un avertissement. Un message envoyé au monde des jardiniers professionnels, des producteurs de semences de variétés anciennes, des maraîchers, et autres magasins bios, qui ont historiquement soutenu l’association lorsqu’elle fut elle—‐‑même attaquée en justice : aucune critique émanant de ce milieu ne sera tolérée. Union sacrée derrière le joueur de flûte.

Pour la première fois de son histoire, Kokopelli quitte le statut de victime que deux procédures judiciaires à son encontre avaient contribué à lui donner (l’une menée par l’ʹÉtat français en 2005 et l’autre par le grainetier Baumaux en 2014). Cette fois-ci, la petite association devenue grande, qui annonce fièrement dans la presse un chiffre d’affaire de 3 millions d’ʹeuros pour l’année 2016, traîne à la barre un couple de jardiniers. Comment va-t-elle pouvoir à l’avenir continuer à raconter l’ʹhistoire du David de la semence se battant seule contre le Goliath de l’ʹagro‑industrie Bayer‑Monsanto ? Dans quelle mythologie ses dirigeants vont-ils bien pouvoir piocher pour continuer à passer pour l’ʹéternelle victime et l’unique sauveur des petits paysans ?

Nous n’ʹirons plus pointer chez Gaïa, jours de travail à Kokopelli

En réponse à cette plainte, nous vous invitons à lire – ou à relire – Nous n’ʹirons plus pointer chez Gaïa, jours de travail à Kokopelli. Ce livre n’est pas une enquête journalistique à charge. Sa force et sa pertinence sont à chercher ailleurs. Il a été longuement mûri, discuté et écrit par un collectif constitué d’anciennes salariées de l’association et de jardinières qui produisaient bénévolement des semences pour l’ʹassociation : « En pointant le décalage systématique entre ses discours et la réalité de ses pratiques commerciales et salariales, nous n’agissons pas par rancœur – elle n’aurait pas tenu au fil de ce long processus d’écriture collective – ni dans le but de “détruire Kokopelli”. (…) Bien que nous craignions que la direction ne nous balance à Gaïa – voire à la justice –, nous avons été poussées par une triple exigence : de solidarité entre ex-salariées, de critique sociale et de défense de pratiques collectives ».

Par ailleurs, et c’est aussi pour cela que nous nous réjouissons aujourd’hui comme hier de l’avoir publié, ce livre soulève des questions dont la portée va bien au-delà du cas Kokopelli. D’abord car il interroge le fonctionnement du travail salarié dans le monde associatif ; lorsque les travailleurs se trouvent tiraillés entre une cause à défendre et les conditions de travail dans lesquelles ils sont censés défendre cette cause. Mais aussi, car les autrices abordent la question politique essentielle de la semence dans le monde agricole : comment critiquer la politique des États, l’industrialisation des campagnes, les pratiques des grands semenciers, la fusion Bayer—‐‑Monsanto, sans nourrir d’autres mythes, qui, sous couvert de « consom’action », réhabilitent développement, libre concurrence, délégation et hiérarchie ? Quelle est cette idéologie complotiste qui colonise l’écologie politique contemporaine ? Qu’entend-on par « autonomie », ce mot qui recouvre aujourd’hui des conceptions du monde parfois antagonistes ?

Les éditions du bout de la ville soutiennent bien évidemment Daniel et Raquel Vivas, attaqués pour diffamation par Kokopelli. Elles appellent celles et ceux qui le peuvent à se rendre au tribunal pour manifester leur soutien à ces deux jardiniers.

Les éditions du bout de la ville
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