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Georges Navel : Contact avec les guerriers

Contact avec les guerriers

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À paraître début avril 2025

Texte établi par Camille Estienne et Claire Navel

Postface de Patrick Mayoux

« Hors collection, hors tout » cette formule a déjà figuré au catalogue Plein Chant pour deux livres de Malcolm Menzies qui refusait l’étiquette d’anarchiste. Zo d’Axa, qui y est aussi célébré, avait choisi d’être Endehors, ce qui revient au même. Georges Navel de son côté ne souhaitait pas être rattaché, ainsi qu’il l’a si souvent été, et bien malgré lui, au mouvement de littérature prolétarienne. Ces trois écrivains n’exprimaient aucun mépris à l’égard des courants de pensée ou des mouvements littéraires concernés, dont ils étaient, le plus souvent, proches par leur formation, leurs rencontres, leurs amitiés. Leur attitude n’avait qu’un seul but, sauvegarder leur indépendance intellectuelle et l’intégrité de leur personne, autrement dit leur liberté individuelle et leur singularité. Celles-ci ne pouvaient être préservées qu’au prix d’une lutte permanente avec ou contre les aléas de la vie organique et de la vie collective : la conquête du pain et la recherche d’une harmonie avec le corps social et la nature. L’oeuvre de Georges Navel est tout entière tendue vers ces deux pôles et ses livres, loin d’être des « romans autobiographiques » apparaissent comme des manuels d’exploration de la vie intérieure et des essais de définition de la place de l’homme dans le monde et dans le cosmos, développant à l’infini une inquiétude récurrente et une grande espérance grâce à une écriture qu’il qualifie de difficile mais dont la force est souvent bouleversante par sa logique expressive et son humanité à fleur de peau. Il y a plus de philosophie que de littérature dans les écrits de Navel, c’est sans doute ce qui lui a valu de partager l’amitié d’Alix Guillain et de Bernard Groethuysen dont témoignent les si belles et si fortes lettres qu’il leur adressa et qui ont été publiées en 1952 sous le titre Sable et limon. Navel n’a pas « cultivé les lettres », il a cultivé l’intelligence et travaillé à étendre la sienne pour une compréhension sans cesse approfondie de lui-même et du monde. Une telle exigence lui a valu en contrepartie d’être ignoré d’un large lectorat davantage porté vers la narration que vers la réflexion sur le sens de toute chose. Il en a souffert, mais il demeurera quand les littérateurs de tout bord auront disparu l’un des écrivains toujours recherchés par la poignée de lecteurs passionnés qui de tout temps ont assuré la survie des oeuvres les plus originales de la création humaine, le plus souvent cueillies en marge et en avance sur leur temps. Pour Navel cela aura peut-être une chance de se concrétiser grâce à la réédition simultanée totale ou partielle de trois de ses livres, Parcours (1950) ; des pages choisies de Chacun son royaume (1960), sous le titre Près des abeilles, chez Gallimard ; Passages (1982), à l’Échappée ; et par le présent Contact avec les guerriers, écrit en 1942, resté inédit, retrouvé récemment dans les archives familiales.

Ce récit, que Navel a souhaité par la suite reprendre et compléter sans y parvenir, porte sur les derniers mois de 1939, depuis son incorporation, à près de 35 ans, le 31 août, comme 2e canonnier servant, au 403e régiment d’artillerie aérienne à « Longeau », du nom d’un ruisseau voisin, près du village de Bruley (Meurthe-et-Moselle) jusqu’à son changement d’affectation le 14 novembre avec le grade de brigadier. Entre ces deux dates des débuts de la « drôle de guerre », il brosse le tableau de ses journées et de leur ordonnancement tant éloigné de celui de la vie civile, générateur d’ennui, et qui conduit à « agir comme chose utilisable, sous la terreur de la volonté d’autrui ». L’entrée est diffiscile dans un milieu d’apparence hostile, puis apparaît un début d’accoutumance devant l’humanité de certains hommes du groupe, malgré la vulgarité ambiante et l’alcoolisme qui y règnent. Construire des rapports sociaux en vase clos oblige à ignorer le goût dominateur de certains, de subir en se préservant, de « vivre au ralenti », de ne pouvoir lier amitié avec personne. Cela n’empêche pas Navel de dresser quelques beaux portraits de « braves gens » malgré ce qui les sépare de lui. « L’existence de la guerre changeait ma vision de la vie ». Dans un échange avec son capitaine, il reconnaît ne plus être antimilitariste, mais en élude habilement l’explication, se disant à lui-même que la guerre avait démoli ses aspirations vers un monde meilleur. Mais cette vie de garnison, décrite sous toutes ses coutures, suscite également de nombreuses méditations qui donnent à son récit une dimension spirituelle considérable. Navel, quel que soit l’objet de ce qu’il écrit n’ennuie jamais son lecteur. Il fait entrer celui-ci directement dans l’âme des choses et dès lors c’est dans l’enchantement que l’on circule entre ses phrases habitées et sa fraternelle compagnie. Ainsi lorsqu’il évoque la lune qu’il observe à la lunette de visée ou qu’il expose sa vision des guerres en des termes ramassés d’une luminosité qui va jusqu’à éclairer notre regard sur l’ensemble des conflits actuels. Sa conclusion est néanmoins optimiste : « … j’avais passé non pas trois mois, non pas du temps, des jours et des journées, mais une suite d’états d’esprit avant d’être comme aujourd’hui accordé au déroulement. »

Pour mémoire : Georges Navel est né le 30 octobre 1904. Il a baroudé des journées d’usine à celles de la terre et inversement, il a été déserteur et a terminé ses cheminements comme correcteur de presse. Ses six livres forment une œuvre d’une qualité humaniste incontournable. Il nous a quittés le 1er novembre 1993.