PETIT MAIS COSTAUD
Se présentant sur leur site Internet comme un « tout petit éditeur », on pourrait s’attendre de la part des éditions Les Rêveurs qu’ils soient vraiment groupusculaire. Il n’en est rien, sauf à les comparer à Soleil, Casterman ou n’importe quel autre mastodonte du milieu de l’édition de BD. Certes, il s’agit d’une modeste association loi 1901, montée en 1997 « avec l’envie d’éditer des bandes dessinées et de réaliser des beaux livres » par deux passionnés (Nicolas Lebedel et Manu Larcenet), mais ces derniers ont quand même publié 43 titres en quinze ans - avec une pointe à environ 30 000 exemplaires vendus pour les deux tomes du Sens de la vis, de la paire Manu Larcenet – Jean-Yves Ferri. Excusez du peu.
La différence avec les gros éditeurs de BD, c’est que chez Les Rêveurs, quasiment tout se fait à l’huile de coude, puisque le rythme de publications (4 à 6 titres par an) « ne nous permet pas de proposer des stages ou des contrats de travail, en revanche, Les Rêveurs travaillent avec deux graphistes qui sont rémunérés, au même titre que tous les auteurs pour lesquels nous éditons des livres. » Les deux membres fondateurs sont aussi les animateurs bénévoles de la structure : « Manu Larcenet s’occupe de la maquette générale des livres – format et couverture- et Nicolas Lebedel s’occupe des relations avec les auteurs, de la fabrication des livres et des relations presse ». Mais à part cette économie à petite échelle, quand on voit leur catalogue et le nom des auteurs, on se rend bien compte qu’on n’est pas non plus à la marge de la marge, dans le fanzine photocopié et agrafé en haut à gauche (format qui peut aussi avoir son intérêt, soit dit en passant) : Ferri et Larcenet en duo, et le dernier aussi tout seul (dont le superbe « Presque », à l’antimilitarisme radical, est profondément émouvant), mais aussi Philippe Squarzoni (avec son Portrait de Richard Brautigan, il s’intéresse de près à cet écrivain légendaire de la contre-culture américaine), Baru (le coffret Villerupt, 1966, présenté comme des « chroniques adolescentes des années 1960, à l’ombre des hauts-fourneaux de Lorraine », est un monument), Étienne Davodeau (L’atelier), Golo, Carlos et Lucas Nine, LL de Mars, et... George Herriman, auteur de strips publiés dans la presse américaine de la période 1910-1940, celle de Randolph Hearst, et notamment de son fabuleux personnage Krazy Kat. Le premier tome (1925-1929) est paru, le deuxième (1930-1934) dans les prochains mois.
Pour contribuer au sérieux des Rêveurs – plutôt qu’à leur image de « tout petit éditeur » -, ils avouent eux-mêmes qu’ils sont diffusés et distribués par Makassar « depuis le début, et cette fidélité s’explique avant tout par leur travail effectué sur nos éditions depuis 15 ans auprès des libraires. La distribution-diffusion est une brique importante de la chaîne du livre, mais aussi compliquée dans son fonctionnement, ce pourquoi nous attachons beaucoup d’importance aux qualités humaines des équipes à vouloir défendre et promouvoir nos livres. » Ce côté humain, c’est la plus grande différence avec les gros éditeurs et autres industriels, lesquels font du chiffre d’affaire une des composantes essentielles de leur politique éditoriale. Chez Les Rêveurs, on s’émerveille de l’Homme, pas du compte en banque... « La plus belle surprise, c’est de voir que nous sommes suivis par les lecteurs qui continuent d’acheter nos livres, et d’autres qui les découvrent. » Se préparant au numérique, ils n’oublient pas pour autant que « l’économie du livre est fragile, celle de la librairie aussi, et il faut que toute la chaîne puisse avancer ensemble pour se préparer au futur et aux mutations irréversibles. »
