Je m’étais rendu à l’évidence depuis longtemps : l’immense majorité des femmes dans le monde me demeureraient à jamais inconnues. On m’objectera que le bonheur n’est pas affaire de quantité… Certes ! mais j’observai par ailleurs que celles qui acceptaient de m’accompagner un moment se ravisaient bien vite. De plus en plus vite, à dire vrai, au fur et à mesure que j’avançais en âge. Lorsqu’une jeune femme que j’aimais follement, et qui semblait goûter nos étreintes et nos bavardages passionnés, me préféra une sorte d’ectoplasme, ne sachant ni parler ni bander, je compris qu’il était temps pour moi de prendre la mesure du désastre et commençai de rédiger cet opuscule. Il y est question de moi bien sûr, mais aussi d’amour, de livres, de beauté, de solitude, de révolte et d’argent… Fallait-il soumettre cet antiportrait au jugement du public ? J’ai opté pour l’affirmative, pensant qu’il pourrait y trouver quelques sujets d’hilarité et d’étonnement. Et puis voici qui pourrait figurer comme la énième de ces « bonnes raisons » : j’ai l’effronterie de croire qu’en dressant l’inventaire de mes bizarreries, de mes faiblesses et de mes prétentions, je laisse encore à désirer. Si je me trompe, j’aurai du moins la consolation d’être dédaigné pour ce que je suis.
Claude Guillon